Les Groupements Hospitaliers de Territoire : un point d’avancement

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L’Association des Directeurs d’Hôpital (ADH) a récemment publié sa deuxième enquête(1) sur les Groupements Hospitaliers de Territoire. A cette occasion, nous proposons de faire le point avec François Farhi, président de CMI et expert du sujet, sur l’avancement des GHT, et la manière dont ils structurent le paysage de la santé en France.

 

Marc LeFrançois : François, vous avez participé au mouvement vers les GHT, non seulement en élaborant, pour la DGOS, le plan d’accompagnement à la construction des GHT, mais aussi en conduisant la rédaction du Projet Médical Partagé de nombre d’entre eux. Pouvez-vous nous rappeler les objectifs des GHT ?

François : L’objectif principal des GHT est de mieux répondre aux besoins des populations grâce à une meilleure organisation de l’offre de soins hospitalière sur un territoire. Les GCS (Groupements de Coopération Sanitaire) ont permis d’enclencher de très nombreuses coopérations sur des sujets très divers mais toujours spécifiques. Les CHT (Communautés Hospitalières de Territoire) ont été une première tentative, sur la base du volontariat, d’engager des coopérations territoriales autour des filières de soins. Les GHT sont ainsi une nouvelle étape, contraignante cette fois, dans la longue marche vers des établissements publics de santé de territoire.

 

Des impacts sur les relations entre équipes et sur certains métiers

Marc : L’enquête de l’ADH souligne que si la qualité des relations de travail entre les directions d’un GHT est plutôt appréciée, les directeurs d’établissement sont beaucoup plus critiques vis-à-vis de la qualité des relations de travail entre communautés médicales. Est-ce la situation que vous avez rencontrée lors de l’élaboration des Projets Médicaux Partagés ? Quelles approches peuvent, selon vous, permettre de bonnes relations de travail entre les communautés médicales de l’ensemble des établissements d’un GHT ?

François : Les GHT ont une ambition intégratrice et de gradation des parcours de soins sur un territoire. Les questions liées aux répartitions des rôles des différents établissements d’un GHT dans les parcours de soin se traduiront nécessairement, à terme, par une différenciation du niveau de complexité et de lourdeur des plateaux techniques. Les médecins, comme les directions, sont imprégnés d’un imaginaire qui veut que l’intérêt au travail et le prestige croissent avec la complexité. Dès lors qu’il n’existe pas de leader naturel dans le GHT, la recherche d’un nouvel équilibre, qui privilégie une concentration des plateaux techniques, crée des situations légitimes de tension. Et ce n’est pas l’apanage des communautés médicales …

Pour lever ces difficultés, la première approche consiste à remettre les travaux d’organisation en perspective : tous recherchent de mieux répondre à la demande de soins des populations d’un territoire en favorisant la qualité et la sécurité des soins et une meilleure qualité de vie au travail dans un contexte financier contraint. C’est en ramenant tous les débats à ces seuls critères que l’on peut espérer sortir des conflits d’intérêt.

 

Marc : Les Directeurs d’Hôpital répondants à l’enquête constatent que l’organisation en GHT a eu un impact plutôt favorable sur l’intérêt de leur poste, mais défavorables sur leurs conditions de travail. Plus largement, quelles conséquences la mise en œuvre des GHT a-t-elle sur les métiers d’un hôpital ?

François : La première conséquence est une prise de conscience de plus en plus partagée de la responsabilité territoriale des établissements de soins. Et cette responsabilité se traduit concrètement : multiplication des interactions

avec les professionnels de ville, attente de mobilité territoriale vis-à-vis des professionnels des établissements, prise en charge de patients dont le traitement a été initié dans un autre établissement du GHT, …

La seconde conséquence touche tout particulièrement les managers de l’hôpital : accroissement du nombre de réunions, d’instances, etc. C’est cette évolution qui fait dire à de nombreux acteurs qu’il faut aller plus loin dans l’intégration.

Enfin il y a clairement une conséquence potentielle sur les déroulements de carrière des directeurs : moins de chefs d’établissement et plus de directeurs fonctionnels.

 

Un document au cœur du GHT : le Projet Médical Partagé

Marc : L’enquête de l’ADH souligne que le Projet Médical Partagé (PMP) des GHT est perçu comme moyennement à très peu abouti. Qu’en pensez-vous ?

François : La situation est extrêmement hétérogène. A travers nos multiples missions, nous avons identifié quatre types de GHT :

  1. Les Passifs (30% des GHT environ) : Chaque établissement tente d’utiliser ses partenaires pour pallier ses faiblesses. Les domaines obligatoires sont traités selon les mêmes principes. L’élaboration du PMP, souvent restreint à un petit nombre de filières en plus des domaines obligatoires, a été un combat de tous les instants.
  2. Les Optimisateurs (50% des GHT environ) : Les établissements partagent des principes stratégiques communs, et mobilisent ces principes pour faire valoir leurs intérêts individuels. Le PMP couvre l’ensemble des besoins du territoire et la mise en œuvre est engagée dans certaines filières critiques.
  3. Les Bons élèves (15% des GHT environ) : Les établissements ont structuré des filières selon les intérêts majeurs des acteurs et les besoins prioritaires des populations. La structuration des domaines obligatoires et certaines actions opérationnelles sont en cours.
  4. Les Stratèges (5% des GHT environ) : Ils déploient une véritable stratégie de groupe et n’ont pas hésité à restructurer l’offre publique sur le territoire. Ils sont souvent dans une situation de direction commune.

 

Marc : Urgences, gériatrie, biologie, psychiatrie et cardiologie constituent le Top 5 des filières qui font déjà l’objet d’une mise en œuvre opérationnelle du PMP. Quelles en sont, selon vous, les filières qui ont le plus bénéficié de l’élaboration d’un projet médical partagé ?

François : Il y a trois catégories de filières qui ont le plus bénéficié de l’élaboration des PMP :

  • Les filières de cancérologie pour lesquelles les enjeux liés aux seuils d’activité en chirurgie, et à l’évolution à venir de ces seuils, rendent nécessaires des accords de coopération entre établissements porteurs d’autorisations ;
  • Les filières chirurgicales, pour lesquelles de nombreux établissements font face à des enjeux d’attractivité médicale. Les GHT ont souvent constitué une échelle pertinente pour tenter de répondre à ce défi, avec des solutions très différentes bien sûr d’un GHT à l’autre ;
  • Enfin les filières requérant un plateau technique lourd, notamment cardiologie, neurologie, soins critiques, obstétrique pour lesquelles la question de la concentration sur un seul plateau technique fait souvent débat depuis des années.

 

Une transformation qui se poursuit

Marc : Dans ce contexte, on parle beaucoup de « l’AN II » des GHT. L’enquête ADH est d’ailleurs intitulée « Consolider l’an 1, préparer l’an 2 des Groupements Hospitaliers de Territoire ». de quoi s’agit-il ?

François : Les GHT ont été une réponse des établissements publics de santé à la stratégie de concentration des établissements privés de santé engagée il y a 15 ans, dans un contexte de concurrence rendu possible par la tarification à l’activité.

Dans ce contexte, tous les acteurs concernés s’accordent à dire qu’une véritable intégration des établissements publics, sur une base territoriale, est indispensable pour atteindre cet objectif de restructuration de l’offre publique. Dans le même temps, l’émergence de l’idée d’une responsabilité territoriale collective des acteurs de santé d’un territoire, ville et établissement, public et privé, rend nécessaires de nouvelles formes de coopérations élargies, au service des besoins de la population.

L’An 2 des GHT, c’est donc tout à la fois parachever la marche vers des établissements publics de santé de territoire et organiser collectivement la réponse aux besoins de santé des populations en responsabilisant l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire autour d’objectifs de santé publique.

Les débats font rage pour déterminer s’il faut faire l’un puis l’autre, l’un et l’autre, l’un ou l’autre. Les contributions publiées dans le cadre de la Stratégie de Transformation du Système de Santé par la plupart des acteurs montrent que si les recommandations d’actions divergent sensiblement, il existe une forte convergence sur les axes majeurs de la transformation à venir. Nous en retenons quatre :

  • Organiser notre système à partir d’une définition des services à rendre à la population, traduction de la demande de soins ;
  • Permettre aux patients d’être acteurs de leur prise en charge ;
  • Faire de la prise en charge de proximité, par bassin de vie, la nouvelle norme de la réponse première aux besoins des populations ;
  • Recentrer les établissements de santé disposant de plateaux techniques significatifs sur les missions d’urgence « vraie » et de recours.

 

Référence :

(1) Association des Directeurs d’Hôpital (2018). Consolider l’an 1, préparer l’an 2 des Groupements Hospitaliers de Territoire. Rapport d’enquête, mai 2018.