Est-ce que l’Etat investit dans l’avenir des territoires de la République ? (1/2)

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Source : www.gouvernement.fr

Le PIA, un tournant pour l’action publique de l’Etat dans les territoires ?

Après avoir accompagné plusieurs projets du PIA, Louis-Marie Bastier et Lucas Verdant, consultants CMI, débattent des apports et limites du programme. Le Programme des investissements d’avenir (PIA) lancé en 2009 sous la Présidence de Nicolas Sarkozy investit dans les domaines jugés prioritaires tels que l’enseignement supérieur et la recherche, la valorisation et l’innovation. Il intervient sous forme de subvention et d’avance en fonds propres, généralement via des appels à projets évalués par un jury international. Dans ce premier volet, Louis-Marie et Lucas analysent les impacts du PIA dans l’organisation et les modes d’action de l’Etat pour les territoires.

L’organisation d’un « Etat autrement » : entre volonté et faits

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Source : www.gouvernement.fr

Quel a été selon vous l’impact majeur du PIA dans l’organisation de l’administration d’Etat ?

LV : “Avec le PIA, l’Etat renforce son rôle d’interlocuteur privilégié des territoires, un « Etat autrement » (selon une formule consacrée du Conseil d’Etat). Il organise désormais l’action publique territoriale grâce à des opérateurs spécialisés par domaine. Ce sont pour la plupart des agences (ANRU, ADEME, ANR etc., à l’exception notable de la Caisse des dépôts) qui travaillent en lien étroit avec les ministères concernés. Le Commissariat général à l’investissement (CGI), créé par le PIA et placé sous l’autorité directe du Premier ministre, finance et supervise ce programme dont il confie la mise en œuvre aux agences. Ces dernières bénéficient d’une autonomie de gestion vis-à-vis du pouvoir exécutif. Sous le pilotage souverain du CGI, le PIA renforce donc le poids des agences. Leur création, dans les années 1960, s’alignait déjà avec la volonté de construire une « administration de mission, adaptée à un problème, un temps et un lieu » (Edgard Pisani, Administration de gestion, Administration de mission, 1956) et devant permettre une meilleure mobilisation des moyens par un appui sur des expertises précises.”

LMB : “En revanche, certains remarquent que ce phénomène d’« agencification » dépossède les ministères de leurs prérogatives. Ils peinent parfois à exercer leur rôle de pilotage auprès des agences car ils ne disposent pas toujours des compétences adaptées à l’exercice des fonctions stratégiques de conception, de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. L’actualité du CGI et sa récente transformation en Secrétariat Général à l’Investissement nuanceraient ce constat, en entraînant une réintégration des ministères de tutelles dans le pilotage stratégique et budgétaire du PIA.”

PIA et New management public : une réaffirmation de l’autorité de l’Etat ?

Au-delà de l’impact organisationnel, peut-on dire que le PIA reconfigure les modes d’action publique de l’Etat dans les territoires ?
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LMB : “Il est vrai que le PIA, à travers certains de ses appels à projets, est l’expression d’une forme de new management public qui met l’accent sur la performance des institutions publiques. En cela, ce programme diffère d’une tradition politique qui redistribuait les ressources de l’Etat de façon équitable sur l’ensemble du territoire. A travers les appels à projet, l’Etat définit un cahier des charges dont les attendus et critères permettent de sélectionner les meilleures candidatures. Cette approche sélective favorise, selon cette logique, une allocation optimisée des ressources publiques. Par exemple, le financement des projets d’excellence universitaires (IDEX/ISITE) est conditionné au respect d’indicateurs d’excellence tout au long de la vie du projet. Plusieurs établissements ont ainsi vu leurs financements suspendus. Dans un contexte international où la concurrence est vive entre les territoires, les universités, les entreprises (etc.), le PIA fait le choix de concentrer ses financements sur des bénéficiaires d’excellence en capacité de « rivaliser » avec leurs concurrents étrangers. Enfin, dans une logique d’essaimage, les projets lauréats ont aussi vocation à être reproduits voire généralisés dans d’autres contextes territoriaux.”

 

Et toi Lucas, partages-tu cet avis ?

photo-lucas-verdantLV : “Selon moi, le PIA participe davantage d’une recomposition des modes d’action publique de l’Etat dans les territoires, plutôt que d’un renouvellement. En effet, alors même que les territoires gagnaient en autonomie avec la décentralisation, cette forme de new management public évoquée par Louis-Marie a modernisé l’action publique en la dotant de nouveaux instruments d’intervention territoriale (appels à projet, indicateurs de performance, trophées, labels etc.). Grâce à ces instruments, une forme de « pilotage à distance » (Renaud Epstein) de l’action publique par l’Etat s’est opérée dans les territoires. Si parler de recentralisation serait juridiquement inexact, on peut néanmoins y voir une forme de réaffirmation de l’Etat dans son investissement en faveur des territoires. Le PIA favorise donc le passage d’un Etat parfois cantonné au rôle d’« animateur » (Renaud Epstein) à un Etat redevenu stratège dans son rapport avec les territoires, par la diffusion de nouvelles normes et la promotion de bonnes pratiques. A ce titre, l’appel à projet IDEX/ISITE a favorisé la structuration des logiques de site en faisant de la fusion des établissements universitaires un critère clé pour obtenir les financements de l’appel à projet. Cela amène d’ailleurs certains à parler de « libre conformation » des territoires à des priorités implicitement définies à l’échelon national et imposées sous l’effet du PIA.”

Conclusion : C’est un nouvel instrument qui s’inscrit dans un mouvement de réaffirmation du rôle d’Etat stratège, qui reprend la main sous une forme différente pour investir dans les territoires et soutenir la compétitivité de la France.

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